Retour de Chine par Bruno Drweski

Compte rendu d’un périple en Chine à l’invitation du département international du Comité central du Parti communiste chinois (ID CPC)(05/9/2023 – 17/9/2023)

(texte relu et complété par les apports des autres membres de la délégation française à partir de leurs propres notes)

          J’ai été invité dans le cadre d’une délégation d’Europe occidentale reçue par le département international du Comité central du Parti communiste chinois (ID CPC) et organisée par la section « Europe occidentale » de ce département. Cette délégation était intégrée dans le cadre d’un programme plus vaste de délégations venues d’autres parties du monde et devant toutes participer à la rencontre « Réalisations du Qinghai dans la pratique de la pensée du Xi Jinping sur le socialisme aux caractéristiques chinoises pour l’ère nouvelle ». Nous avons donc été reçus par le département international du PCC à Beijing qui a organisé pour nous des rencontres et discussions puis nous avons été reçus à Xining, capitale de la province du Qinghai, et dans sa région pour participer à cette rencontre internationale, effectuer plusieurs visites et participer à plusieurs rencontres, et enfin nous sommes partis pour Chengdu, la capitale de la province du Sichuan, où nous avons aussi effectué plusieurs visites et participé à plusieurs rencontres.

          Notre délégation européenne était présidée par un membre du Bureau politique du Parti progressiste des travailleurs de Chypre (AKEL, communiste) et la délégation française était dirigée par Carole Bureau-Bonnard, au titre de son rôle « d’amie du peuple chinois » comme ancienne député de LREM, qui fut Présidente de la délégation chargée des activités internationales et membre du groupe d’amitié France-Chine. Participaient à cette délégation donc des communistes chypriotes, des membres de la Fondation Rosa Luxemburg d’Allemagne, deux chercheurs italiens se réclamant du communisme mais représentant la fondation italianieuropei de tendance social-démocrate. Parmi les Français, il y avait, outre moi et la personne déjà citée, le représentant de l’association Solidarité et Progrès qui a été une organisation prônant la coopération eurasiatique dès la fin des années 1980, ce qui en a fait « des vieux amis du peuple chinois », et un représentant d’un fond d’investissement français. Cette délégation peut paraître très hétéroclite dans sa composition mais il faut savoir que le PCC considère qu’il lui faut développer des relations avec tous les partis, groupes ou individus pouvant être classés dans la catégorie des « amis du peuple chinois » ou prêts à s’engager dans l’objectif mondial prôné par le PCC à l’heure actuelle, à savoir la création d’une « civilisation d’avenir partagée pour l’humanité dans le respect de la souveraineté des peuples et des Etats ». La question du socialisme et du communisme étant considérée par le PCC comme l’avenir ultime de l’humanité mais selon un rythme qui doit être adapté aux conditions des différents peuples et en fonction de leur propre niveau de développement. A cet effet, le PCC cherche à entretenir des liens particuliers avec les organisations marxistes-léninistes du monde entier au niveau des échanges politiques et idéologiques mais sans exclusive à l’égard des autres courants politiques représentatifs des différents peuples.

          Du coup, notre délégation française était présidée par une ancienne députée aujourd’hui membre du groupe politique Horizons et qui a été jugée par les Chinois comme une personne acquise à l’idée d’un rapprochement entre la France et la Chine malgré les vicissitudes des rapports entre les deux pays et les hésitations manifestées sur le sujet par Macron.

          Le musée fait partie de l’Académie chinoise des Sciences médicales. Cette visite a permis de découvrir l’ancienneté et le souci des autorités chinoises pour le développement de la médecine traditionnelle chinoise (acupuncture, moxibustion et massages) non seulement en Chine mais partout dans le monde. La médecine chinoise traditionnelle s’attache depuis des millénaires à connaître la nature, le processus vivant, à prévenir et traiter les maladies afin de rester en forme et prolonger l’existence.

          L’accent est mis sur la personne, chacun ayant sa propre façon de s’adapter à un environnement donné. Dans la médecine occidentale on s’intéresse souvent uniquement à la bactérie ou au virus. Ces organismes invisibles à l’oeil nu sont là quoi qu’il arrive. Comment se fait-il qu’à un certain moment ils deviennent nocifs, quel déséquilibre s’est installé dans le corps (notion taoïste du Yin et du Yang) ? Il faut traiter la vraie cause qui n’est pas le virus, mais le déséquilibre. C’est comme l’entente entre mari et femme nous précise-t-on: avant tout rétablir l’harmonie, faute de quoi l’un ou l’autre décroche. La médecine traditionnelle s’intéresse pareillement à chaque personne, sans distinction, traiter chacun « avec un cœur bon ». 

          Nos interlocuteurs font preuve sur ce sujet d’un véritable esprit missionnaire. Nous avons nous mêmes tous subi un examen médical et chacun des membres de la délégation a ensuite été soumis à un traitement après une analyse de son pouls et des éventuels soucis de santé qu’il signale.

          Rappel des objectifs des communistes chinois depuis leur prise du pouvoir en 1949 :

1 – Réaliser la libération nationale par la coalition des quatre classes progressistes et anti-impérialistes chinoises, la classe ouvrière, la paysannerie, la petite bourgeoisie et la bourgeoisie nationale (opposée à la bourgeoisie compradore au service de l’impérialisme).

2 – Convaincre la nation chinoise de la justesse de poursuivre la lutte dans l’objectif de passer à une société socialiste puis communiste.

3 – Développer les forces productives pour atteindre et dépasser les grandes puissances capitalistes.

          Le premier objectif a été atteint et le PCC veille en principe à ce qu’il ne puisse y avoir de renaissance d’une bourgeoisie compradore au service de l’impérialisme des puissances occidentales ni non plus la naissance d’une bourgeoisie impérialiste chinoise. D’où la nécessité de maintenir le rôle dirigeant du Parti communiste et la dictature démocratique populaire inscrite dans la constitution.

          Le second objectif reste à atteindre car la Chine n’a fait que bâtir les bases pour un futur système socialiste développé qui devrait être atteint vers 2049. Pour le moment, le caractère socialiste de la Chine est dû selon ses dirigeants au fait que le Parti communiste chinois mène une politique de lutte contre la pauvreté. Cette politique a abouti à l’élimination de la grande pauvreté en 2021, au résultat que plus de 800 millions de Chinois sont sortis de la pauvreté (200 millions ont rejoint les « classes moyennes » ou supérieures) et que les 400 millions de pauvres restant sont désormais en voie de sortir de la pauvreté au cours des vingt prochaines années. Le fonctionnement du socialisme aux caractéristiques chinoises a permis disent les dirigeants d’éliminer en grande partie les contradictions de classe antagoniques et à régler pacifiquement les contradictions non antagoniques.

          Le troisième objectif est de développer les forces productives, ce qui nécessite de permettre aux capitalistes de jouer un rôle pionnier dans certains domaines délimités, tant que ce système gardera ses caractéristiques dynamiques, efficaces pour le progrès économique, tout en veillant à ce que le Parti et le gouvernement gardent le contrôle des secteurs stratégiques de l’économie et insèrent le capitalisme en Chine dans un système de planification à visée socialiste. La période 1949-1978 a permis de créer les bases de l’industrialisation de la Chine en utilisant les méthodes de planification et la structure de propriété empruntée à l’Union soviétique puis, en 1978, sur la base de ces acquis, a été lancée une politique d’ouverture et de réformes, au moment du retour au pouvoir de Deng Xiaoping, dans l’objectif de créer un secteur capitaliste utilisable dans l’intérêt du peuple pour accélérer le développement qualitatif de l’économie chinoise encore sous-développée.

          Après ces discussions et ma visite en Chine, je pense pouvoir personnellement définir le système chinois ainsi : « un système de démocratie consultative et de planification étatique d’économie mixte, développementaliste, redistributif, à visée communiste ». C’est-à-dire en fait, un système qui n’est pas caractérisé par ce que les marxistes appellent la « démocratie formelle », soit un système d’élections périodiques donnant la totalité du pouvoir à ceux qui ont réussi à obtenir la majorité absolue au parlement ou à la tête de l’État. Les Chinois préfèrent une démocratie consultative, c’est à dire un système où les élections directes n’ont lieu qu’au niveau du village ou du quartier, à partir de quoi chaque échelon supérieur est élu par les élus de l’échelon inférieur. Simultanément le Parti communiste, les partis associés et les organisations de masse (syndicats, organisations de jeunes et de femmes, personnalités reconnues) au sein de la Conférence consultative du Peuple chinois sont systématiquement consultées à tous les échelons avant de prendre les décisions. Les projets sont aussi mis en consultation publique par le Parti communiste, et les organisations de base du Parti font parvenir au sommet par un canal parallèle au canal administratif (gouvernemental) les opinions recueillies auprès de la population. Ce système est censé permettre une circulation des informations et de larges débats plus démocratiques que le vote strictement formel tous les cinq ans de nos démocraties. J’ai vu l’interview de l’ancien dirigeant d’un parti taïwanais qui avait obtenu 14 % des voix aux élections et qui déclarait qu’il y avait plus de démocratie sur le continent chinois qu’à Taïwan car il disait que le système appliqué sur le continent aurait donné à son parti la possibilité d’être systématiquement consulté sur les décisions politiques tandis que dans le système taïwanais (et occidental) celui qui a pendant cinq minutes tous les cinq ans 50 % plus une voix a un pouvoir absolu pendant cette période alors que lui, à Taïwan, aurait dû au moins avoir 14 % du pouvoir. Au lieu de quoi il a eu 0 % d’influence sur les décisions. Reste à savoir si ces principes du système chinois fonctionnent exactement comme prévu dans la réalité.

          Sur le plan économique, le système chinois est un système d’entreprises publiques, mixtes et privées orientées par le plan central étatique, menant dans le cadre d’une économie « développementaliste » (pour un pays du tiers-monde), une politique redistributive que l’on peut considérér comme étant de type social-démocrate en faveur des classes populaires et des régions arriérées. Ceci, en gardant le contrôle de la superstructure et donc d’une éducation prônant la supériorité des comportements collectivistes sur les comportements individualistes avec visée ultime d’arriver à la société communiste. Voilà pour les principes tels qu’on pourrait les formuler dans un langage occidental et qui guident le fonctionnement du système chinois à l’heure actuelle. Ce qui ne veut pas dire que ces principes ne donnent pas lieu à des contradictions entre logique capitaliste et logique socialiste, aussi bien dans le domaine de l’économie, des rapports sociaux que de l’idéologie et des comportements quotidiens. En particulier, les capitalistes et les jeunes subissent l’attrait des clinquants consumérismes et individualismes de type occidental, capitaliste et bourgeois. Et dans les discussions que j’ai eue, j’ai bien senti que ces débats agitent la société chinoise et les membres du PCC.

          Ce qui est censé garantir le caractère socialiste de la Chine, selon ses dirigeants et ses cadres, c’est le fait que le Parti communiste reste omniprésent par le biais de ses cellules de base, et qu’il est censé surveiller et contrôler le développement de tendances néfastes en son sein et dans la société envers l’objectif socialiste, qu’il mène avant la prise de chaque décision politique ou la nomination de cadres une politique de consultations systématiques des masses, des organisations de masse et des partis politiques qui lui sont associés, qu’il possède des commissions de contrôle aux pouvoirs étendus pour surveiller l’honnêteté de ses membres et qu’il pratique systématiquement des séances de critique et d’autocritique qui sont censées permettre de déceler les comportements asociaux qui pourraient se développer en son sein et empêcher son « auto-révolution » permanente, terme très répandu récemment par la propagande du Parti. On dit aussi que le système du « crédit social » si critiqué en Chine vise avant tout à la dénonciation de cadres corrompus ou au comportement peu social plutôt qu’à contrôler la masse de la population. J’ai pu mesurer qu’il existe un consensus assez large en Chine sur la justesse du fonctionnement du régime politique actuel et de la capacité de son noyau dirigeant à impulser des débats, des changements et des consultations prenant réellement en compte les opinions du peuple selon le slogan de Xi Jinping « en toute chose, mettre le peuple en premier ! »

          Par exemple, le premier jour de mon arrivée, j’ai dîné avec des amis chinois hors du cadre de ma visite. J’ai pu entendre de leur part que la suppression des médecins aux pieds nus dans les campagnes pendant la révolution culturelle a été une erreur qui pousse les ruraux chinois à venir se soigner en ville à l’invitation de leurs enfants qui y ont migré. Et qu’à ce sujet, il y a un débat dans les médias chinois aujourd’hui sur le fait que la médecine chinoise coûte trop cher à la collectivité et qu’on pourrait la rendre tout aussi efficace en diminuant les dépenses de santé de moitié si l’on acceptait de se heurter frontalement aux lobbies de l’industrie privée pharmaceutique. Aujourd’hui, la quasi totalité des Chinois a accès à la sécurité sociale alors que jusqu’à récemment cela ne concernait que les employés des entreprises publiques. La Chine est donc le pays au monde qui compte le plus grand nombre d’assurés sociaux, ce qui mérite d’être souligné vu que ce pays reste encore un pays en développement et, malgré les critiques de ce système mentionnées plus haut, cela reste évidemment une grande réalisation.

          Un autre débat médiatique en Chine porte sur les comportements individualistes et égocentriques répandus chez les jeunes Chinois qui sont accrocs aux modes, styles et musiques venues d’Occident et qui participent de la « pollution spirituelle » de la société chinoise. Ces réalités expliquent le développement de tendances conservatrices en réaction à ces phénomènes dans la société chinoise. Au lieu de poursuivre dans la voie du développement d’une morale socialiste, on voit donc se développer en Chine, m’a dit mon interlocuteur, des courants prônant le retour aux valeurs morales, sociales et familiales traditionnelles d’avant la révolution, ce qui peut parfois être positif, parfois moins car la morale traditionnelle avait beaucoup d’aspects contraignants dont les Chinois s’étaient libérés.

          Il devient à la mode de prôner chez certains « quatre générations sous un même toit » pour remplacer la tendance des jeunes à chercher un logement séparé de leurs parents, grands-parents et arrière-grands-parents. …il faut dire que le prix de l’immobilier à Beijing est quasiment le même qu’à Paris, pour des salaires inférieurs. En fait, l’idéal pour un Chinois reste de travailler pour une entreprise publique ou tout au moins pour une entreprise privée ayant les moyens d’assurer un logement à ses employés. J’ai pu visiter des quartiers ou des entreprises modèles qui réalisent ce type de politique et on peut espérer que cela s’étendra à l’avenir à l’ensemble du pays. Nos accompagnateurs ne cachaient pas le fait que ces entreprises ou quartiers modèles n’étaient pas généralisées et que les problèmes d’inégalités sociales, régionales, villes/campagnes persistaient. Mais le Parti cherche à montrer le chemin grâce à ces exemples modèles, à généraliser ensuite à tout le pays. Plus bas je décrirai ces visites.

          Au cours de son intervention, la directrice de la section Europe occidentale de l’ID CPC a d’abord tenu à nous remercier pour notre courage d’avoir accepté d’être reçu par le PCC alors qu’elle est consciente du fait que nous subissons dans nos pays des pressions pour éviter tout contact avec la Chine et que, malgré cela, nous sommes venus pour écouter le point de vue chinois sur les questions intérieures et internationales. Le département international du PCC entretient à l’heure actuelle des contacts avec plus de 600 partis politiques dans 160 pays du monde. Ce parti considère que nous venons d’entrer dans « une nouvelle ère » de l’histoire de l’humanité qui nécessite une compréhension mutuelle entre des sociétés ayant des expériences différentes et des niveaux de développement différents. Si le gouvernement chinois mène des relations d’État à Etat, le Parti communiste chinois mène des relations de peuple à peuple, ce qui explique son souci de développer désormais des relations avec tous les partis politiques représentatifs de chaque pays et de ne plus se limiter aux seuls partis marxiste-léninistes. L’objectif du PCC est ainsi de prôner la compréhension mutuelle entre les peuples tels qu’ils sont, à développer des réseaux d’amitié entre les peuples et d’aider à promouvoir partout la promotion de la partie de chaque société tournée vers le progrès social et scientifique.

          La ligne directrice du PCC dans les relations internationales a trois objectifs : faciliter le développement global de l’humanité, créer les bases d’une nouvelle civilisation humaine et assurer la sécurité pour tous les peuples. Le PCC considère que tout recul d’un pays est néfaste pour l’humanité entière et pour le peuple chinois en particulier. Donc, malgré le caractère impérialiste des politiques européennes, l’objectif du PCC est de favoriser non pas l’affaiblissement de l’Europe mais sa stabilité et sa prospérité avec l’idée d’en faire à terme un partenaire stratégique. En particulier, la Chine souhaite faire le maximum d’efforts pour arriver à la paix en Ukraine. Le manque de compréhension entre la Chine et les pays européens qui règne aujourd’hui est jugé néfaste pour les deux parties. L’actuelle stratégie mise de l’avant par les dirigeants de l’UE sous la formule « derisking strategy » à l’égard de la Chine et de ce qu’on appelle en Europe le « risque chinois » ressemble trop aux yeux des Chinois à la stratégie des USA de « découplage d’avec la Chine ». « Nous devons chacun de notre côté évaluer correctement les risques en se basant sur les faits et pas sur les suppositions » ont ils martelé. La surpolitisation de toutes les questions a abouti à ce que le thème sécuritaire pollue toutes les autre considérations. Les autorités chinoises ne comprennent pas les accusations d’espionnage régulièrement portées contre la Chine (espionnage allégué des étudiants chinois par exemple, ou de responsables d’entreprise comme Huawei). On ne peut souhaiter en effet que l’Europe soit stratégiquement plus autonome d’un côté, et l’espionner de l’autre, cela n’a pas de sens.

          Le PCC considère avec étonnement la perte des repères au sein des partis politiques européens, le cas le plus marquant étant celui des partis au départ antimilitaristes comme les Verts qui sont devenus, en particulier avec la guerre en Ukraine, les avant-gardes du militarisme. Nous nous trouvons a dit le directeur adjoint de l’ID CPC dans une situation où il arrive que des partis d’extrême droite disent des choses sensées alors que des partis plus progressistes tombent dans l’irrationalisme. Cela étant, jamais le PCC ne souhaitera que ce soient les partis les plus rétrogrades qui prennent le dessus sous prétexte qu’ils peuvent dire ici ou là des choses justes. Mais on doit regretter que des partis progressistes disent des choses clairement fausses.

          Après ces déclarations, les membres de la délégation ont pu intervenir. Michael Brie de la fondation Rosa Luxemburg a parlé du déclin des USA, de la montée de la Chine, de l’importance montante des BRICS et du fait que les USA ayant des ressources limitées avaient besoin de l’Europe pour garder leur statut de puissance dans l’objectif de rester compétitifs vis à vis de la Chine. La guerre en Ukraine est donc pour eux un catalyseur qui freine l’intégration eurasiatique et rend les pays de l’UE dépendant de Washington sur le plan énergétique, géopolitique et des intérêts des complexes militaro-industriels. Dans ce contexte, il faut chercher des alternatives alors qu’on constate qu’il existe objectivement un conflit d’intérêt entre les USA et les pays de l’UE sur l’Ukraine. La politique des USA contribue à déstabiliser l’Europe et l’Afrique dans une situation de découplage grandissant entre les élites européennes et les masses. Cela porte sur l’Ukraine mais aussi par exemple sur la perception de ce qu’est réellement la Chine.

          Réponse ID CPC : Il existe un consensus entre les dirigeants chinois et européens visant à terminer la guerre en Ukraine le plus rapidement possible, la question portant désormais sur les méthodes pour y arriver. Cette guerre a été autant un choc pour les Chinois que pour les Européens. Personne ne souhaite une guerre prolongée en Ukraine, hormis le secteur des industries d’armement des USA. La Chine considère que la vieille architecture de sécurité a été un échec pour l’Europe et qu’il faut donc bâtir une nouvelle architecture de paix durable. Le projet de la nouvelle route de la soie, « une ceinture, une route » (BRI), participe pleinement de cette construction d’une nouvelle architecture de paix, de coopération et de sécurité mutuelle.

          Le Président de la délégation (du parti AKEL de Chypre) a proposé de constituer des groupes de travail Chine/Europe sur des points précis : éducation, défense, lutte contre la drogue, nouvelles routes de la soie, etc.

          Le représentant de Solidarité et progrès a souligné que le défi pour les Européens est de savoir comment réagir aux objectifs poursuivis par les Etats-Unis pour ce qui concerne l’Europe. Le problème en effet n’est pas tant la politique américaine – certes problématique – que celle de l’Europe qui se soumet. En l’occurrence, il nous faut commencer par quitter l’OTAN affirme-t-il au nom de Solidarité et Progrès. C’est à dire rééditer le choix fait par de Gaulle en 1966, après qu’il ait été l’un des premiers chefs d’Etats occidentaux à reconnaître la République populaire de Chine, en 1964. Dans l’esprit du Traité de Westphalie qui prend en compte « l’avantage de l’autre », il faut remettre en avant la politique « d’entente, détente, coopération », leitmotiv du Général. Une des grandes difficulté en Europe est la montée de l’individualisme, en particulier chez les jeunes. L’idée qu’il existe un bien commun tend à disparaître, tant est favorisée par les gouvernements eux-mêmes la poursuite avant tout de leur intérêt personnel. L’idée même de nation est vidée de sa substance. La population française par exemple se dissout en une myriade d’identités réductrices selon l’ethnie, le genre, les croyances ou les groupes d’intérêt particuliers, dans une quête d’épanouissement individuel. Comme si l’on pouvait être « heureux » chacun dans son coin, indépendamment de ce qui se passe au-delà de notre quartier ou de notre pays. Le point de vue néolibéral pénètre ainsi tous les aspects de la vie, bien au-delà des échanges économiques. Les liens entre les gens, qu’ils soient sociaux ou citoyens, se désagrègent peu à peu. Fragmentée, la nation s’affaiblit. Le représentant de SetP a finalement évoqué la possibilité d’échanges entre jeunes Chinois et jeunes Européens sur le modèle de l’Office franco-allemand pour la jeunesse créé en 1963 sous l’impulsion de de Gaulle et du Chancelier Adenauer, contribuant à l’émergence, des deux côtés du Rhin, d’une génération de jeunes bien disposés les uns envers les autres et prêts à œuvrer pour le bien commun.

          La représentante d’Horizons, ex-députée et membre du Groupe d’amitié France-Chine, a appuyé cette idée d’échanges de jeunes et souligné de son côté la continuité de la politique française vis-à-vis de la Chine. Dans le sillage de l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, qui est depuis 2018 le représentant spécial du ministère des Affaires étrangères pour la Chine, elle en a rappelé les grandes lignes, avec la métaphore du feu tricolore pour réguler la circulation : 

– Feu rouge : points de blocage, notamment liés au respect des droits de l’homme

– Orange : points de coopération économique possible, à étudier au cas par cas

– Vert : Points d’entente et de rapprochement, avec la coopération culturelle et les sujets internationaux d’intérêt commun (environnement, patrimoine..)

          Pour ma part, j’ai concentré mon intervention sur le fait que la droite en Europe présentait la Chine comme un pays communiste et agressif alors que la plupart des grands partis de gauche la présentait comme un pays trop capitaliste, voire impérialiste, ce à quoi la directrice a répondu que ces jugements étaient effectivement erronés car la Chine est bien un Etat socialiste, car aucun Etat capitaliste sous-développé et soumis à l’impérialisme n’avait réussi à réduire la pauvreté, ce qu’a fait la Chine. Le socialisme se mesure d’abord à ses résultats, et si le résultat est l’élimination de la grande pauvreté et la diminution de la pauvreté, comment peut-on considérer un tel Etat comme capitaliste ? Il ne faut pas confondre capitalisme et économie de marché. L’économie de marché peut fonctionner en faveur du socialisme.

          Il est clair qu’il faut toujours commencer à poser la question de savoir pour qui sont élaborés les objectifs politiques ? En Chine, ils sont élaborés à partir des intérêts du peuple, pour servir le peuple. Le PCC ne travaille pas en faveur du capital comme cela se passe au niveau des gouvernements dans l’UE. La politique du PCC est orientée vers la paix et l’élaboration de solutions pacifiques ce qui est une autre caractéristique du socialisme. Nous savons que notre propre développement ne pourra vraiment aboutir sans le développement commun du monde entier, ce qui est un autre critère de socialisme. La tradition chinoise est collectiviste et non individualiste. Cela commence avec nos rapports avec nos voisins puis cela s’élargit au pays et enfin au monde. Les Chinois sont depuis toujours conscients par leur philosophie traditionnelle que toute l’humanité vit « sous le même toit » et partage donc un destin commun.

          Le vice-directeur nous a reçu en s’excusant de l’absence du directeur qui était en délégation auprès du Parti communiste du Vietnam et du Parti populaire révolutionnaire du Laos.  Il a commencé son intervention en soulignant que le PCC voulait être humble et que chacun doit pouvoir apprendre de l’autre. Le but de notre visite et les régions que nous allions visiter ont été décidés après une longue réflexion. Notre délégation est la première délégation étrangère reçue par le PCC après la réouverture du pays suite à la crise du covid ce qui témoigne de l’intérêt de la Chine pour les pays et les partis d’Europe et d’Asie qui sont accueillis à cette occasion. Après notre visite et nos rencontres dans la capitale, il a été décidé de nous envoyer au Qinghai, région montagneuse du plateau Tibet-Qinghai car c’est la province la plus pauvre de Chine, donc celle où la lutte contre la pauvreté est la plus acharnée, celle qui est la plus pionnière en terme de construction d’une civilisation écologique, celle où cohabitent plusieurs ethnies et qui doit donc être pionnière en terme de cohabitation inter-ethnique. Par ailleurs, Xining, la capitale du Qinghai, et Chengdu, la capitale du Sichuan que nous allions aussi visiter, sont les deux têtes de ligne de chemin de fer du projet « une ceinture, une route » (Belt and Road Initiative) en direction de l’Europe à travers le Xinjiang, le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie pour atteindre la Pologne, à partir de quoi partent les trains vers toute l’Europe occidentale.

          Le XXe congrès du PCC a lancé un plan de développement devant faire d’ici 2050 de la Chine un pays de civilisation socialiste moyennement développée, ce qui permet aux partenaires de la Chine de voir en elle un pays prévisible dans ses principes et ses réalisations. La Chine peut être comparée à un train, c’est un attelage qui a des objectifs clairs, il peut rouler plus vite ou plus lentement mais sa direction est connue. La Chine est un Etat stable affichant clairement ses objectifs. Au cours du premier semestre 2023, le PIB de la Chine a progressé de 5,5 %, ce qui en fait l’économie ayant la croissance la plus rapide au monde. La Chine se heurte néanmoins à plusieurs problèmes, le plus grave étant que l’environnement économique du pays est en mauvais état, ce qui provoque des problèmes opérationnels et aussi que le développement de la consommation est du coup trop faible. Les médias occidentaux sont néanmoins selon lui trop pessimistes dans leurs analyses de l’économie chinoise et nous ne sommes pas inquiets pour notre avenir. Les médias occidentaux parlent du ralentissement de l’économie chinoise à cause des pressions extérieures que le pays subit mais la Chine reste un des plus grand partenaire économique mondial avec 140 pays qui commercent avec elle et il est clair pour les dirigeants chinois que les pays occidentaux ne sont pas en état de se « découpler » de l’économie chinoise comme le soutiennent les dirigeants des USA. La Chine possède le système industriel le plus complet au monde et son marché intérieur est en augmentation constante par rapport à ses marchés extérieurs.

          Dans les dix prochaines années 10 millions de Chinois devraient se déplacer vers les villes, ce qui devrait permettre le développement de la consommation et doper la croissance du pays. Le taux d’urbanisation est déjà de 75 % dans l’ouest du pays, en particulier dans les régions côtières, et de 65 % à l’échelle de tout le pays. Donc les dirigeants chinois estiment pouvoir faire preuve « d’optimisme raisonnable ». Le peuple chinois sait bien que le progrès du pays est dû à la direction du pays par le PCC et que le Parti doit maintenir son cap d’un parti mettant la compétence de ses cadres de l’avant. Après 100 ans d’existence et 70 ans au pouvoir, le PCC constitue un exemple étudié dans le monde, en même temps qu’au PCC on étudie l’histoire des partis politiques dans le monde. Chaque parti rencontre des problèmes, en particulier un parti comme le PCC qui approche les 100 millions de membres. Le PCC a sélectionné six grands problèmes auxquels le Parti est confronté :

1/ Ne jamais oublier ses fondements et des objectifs fondateurs. Si l’on analyse l’histoire des religions, on se rend compte que ce qui les rend attrayantes, c’est le fait que leurs règles fondamentales ne changent pas, aussi le PCC doit faire de même en n’oubliant jamais les buts à atteindre qui ont été formulés lors de sa fondation. Le PCC ne renoncera donc pas au marxisme-léninisme et à la pensée Mao Zedong comme fondement idéologique.

2/ Maintenir à tout prix l’unité du Parti, dans sa pensée, dans son action et dans sa volonté. L’idée qu’il puisse y avoir des factions constituées à l’intérieur du Parti est exclue. Le Parti encourage les discussions et les différences d’approche mais une fois que la décision est prise après larges débats, tous les membres du Parti doivent l’appliquer.

3/ Le PCC doit faire preuve d’une capacité à gouverner et à se développer tout le temps. Il doit savoir ce qui change dans un pays aussi grand que la Chine. Il doit être un parti compétent, où l’on connaît les langues étrangères, l’économie, la science et l’art militaire.

4/ Le PCC doit faire en sorte que ses membres soient des citoyens et des travailleurs politiquement et socialement actifs. Il ne peut accepter d’avoir des membres passifs et donc inutiles.

5/ Faire en sorte que le Parti trouve toujours des solutions aux problèmes.

6/ Mener en permanence une lutte contre la corruption par la méthode de l’auto-révolution. C’est ainsi que le PCC restera un parti populaire et efficace.

          Tout le PCC et toute la Chine sont engagés dans un combat pour la paix et pour le progrès de l’humanité. Bon but, bonne compétence, bonne vision du monde à venir !

          Après cette rencontre, nous sommes allés dîner avec la direction du département international. On remarquera qu’il nous avait été demandé de venir à la rencontre en cravate mais que quand le repas a commencé, le vice-directeur a retiré sa cravate, ce qui était le signe du fait que nous avons été reçus comme des officiels avant d’être admis comme des « amis ».

          Lors du repas, un cadre du Parti répondant à la question de la guerre ou de la paix a déclaré « pourquoi y a-t-il des tensions autour de Taïwan alors que la Chine populaire a prouvé depuis des décennies qu’elle maintenait une politique pacifique dans la région ? » ce qui était une façon de montrer que ce sont les USA qui constituent là comme ailleurs le facteur de tensions et pas la Chine.

          La directrice Guo Chenli a d’emblée soulignée que pour les Chinois l’économie était, dans son fonctionnement, « macro-logique » et qu’elle allait nous présenter cinq points caractéristiques de la politique économique chinoise :

1° La modernisation chinoise

2° Les théories économiques

3° l’expérience économique depuis 1978

4° les réalisations obtenues depuis 2013

5° la signification globale des résultats de la Chine

          La Chine a essayé tous les systèmes politiques et économiques inventés en Occident avant 1949 mais aucun n’a marché et ce n’est qu’avec la proclamation de la République populaire de Chine que le pays a commencé à sortir de l’arriération et de la pauvreté. De 1949 à 1978, le pays a construit sous l’initiative du Parti et de l’État les bases nécessaires à sa sortie du sous-développement par l’industrialisation de tous les secteurs économiques. Après quoi, la Chine a été en état de passer au développement qualitatif de ses forces productives dans le cadre de la politique de l’économie socialiste de marché et de l’ouverture. En 2012, le Congrès du Parti a lancé la nouvelle stratégie sous la direction de Xi Jinping et le XXe congrès de 2022 a lancé le projet d’unir le peuple dans la construction d’un pays socialiste moderne, objectif qui devrait être accompli en 2049 pour le centième anniversaire de la RPC.

          La politique de modernisation socialiste prend en compte la situation générale et les spécificités chinoises. Il y a cinq caractéristiques distinctes :

1. La politique de modernisation se réalise dans le cadre d’un pays ayant un nombre gigantesque d’habitants,

2. Le principe de base est d’arriver à une « prospérité commune », sur la base de l’équité et de la justice,

3. Il faut mener une avancée simultanée dans les domaines à la fois matériels et spirituels. Renforcer la foi dans les objectifs du socialisme et tenir compte des traditions chinoises,

4. Progresser en faisant coexister pacifiquement l’homme et la nature par un développement soutenable. Atteindre la prospérité pour tous et pour l’équilibre environnemental,

5. Le développement de la Chine doit être pacifique, ce qui veut dire qu’il doit être assuré sans aller piller les pays étranger comme l’ont fait les colonialistes. La Chine doit apporter sa contribution au développement du monde entier.

– Mettre le socialisme de l’avant

– Assurer un développement partagé pour l’humanité

– Atteindre l’objectif d’une pays socialiste moderne et fort entre 2021 et 2049 ; atteindre en 2025 un niveau de modernisation modéré et passer à partir de 2025 à la construction d’un pays socialiste, prospère, démocratique, harmonieux et beau.

– Garder le rôle dirigeant du Parti et l’esprit de lutte.

          Secteur par secteur, étape par étape, région par région, il faut lancer des innovations qui pourront ensuite être reproduites dans d’autres parties du pays. Savoir mener le développement en tenant compte de la tactique et de la stratégie. La stratégie générale est adoptée par la Conférence consultative politique du peuple chinois (assemblée du PCC, des autres partis politiques chinois et des organisations de masse) et la tactique doit être flexible et adaptée aux niveaux locaux.

          Equité et efficacité. L’augmentation de la productivité doit donner des résultats bénéfiques et perceptible pour tous.

          Indépendance et ouverture dans le cadre de la division internationale du travail.

          Servir le peuple et mettre toujours le peuple en avant !

          Les innovations théoriques doivent être basées sur la pratique, sur une politique basée sur les réalités et qui ne copie pas passivement l’analyse marxiste arrivant de l’étranger sans tenir compte des spécificités chinoises. Développement coordonné, prospérité commune et empêcher la polarisation de la richesse.

          La politique de réforme et d’ouverture se base sur des accords de libre échange (il y en a 93 actuellement), la création de zones franches et le développement du projet « une ceinture, une route » BRI.

          S’appuyer sur la confiance et le courage de tous les groupes ethniques du pays.

          La Chine a développé une économie efficace et productive soucieuse non plus seulement de la quantité mais aussi de la qualité. Aujourd’hui, le secteur des services représente 52,8 % de l’activité économique et il est donc devenu le principal moteur de l’économie, en particulier grâce aux innovations. L’industrie s’oriente de plus en plus vers la haute technologie, les équipements et l’industrie manufacturière. La structure de consommation s’oriente de plus en plus vers la satisfaction des besoins du marché intérieur. Le PIB est passé d’un facteur 1 à un facteur 20 depuis 1978. La Chine contribue à hauteur de 18,4% au PIB mondial. Le productivité du travail augmente encore plus vite que le PIB.

          Soucis pour l’amélioration constante du bien être social, des services publics, de la culture et de la sécurité sociale. L’espérance de vie en Chine a atteint 72 ans en 2022, ce qui donne à la modernisation chinoise un rôle mondial et l’apport du Parti communiste chinois au développement de la civilisation mondiale est basé sur une politique de développement prenant le peuple comme point central de référence.

          Question des invités : Quels sont les principaux obstacles rencontrés à l’étranger ?

          – La situation internationale est redevenue complexe et nous devons tenter de maintenir la stabilité et se concentrer sur notre propre développement.

          Question des invités : Pourquoi utiliser la notion de PIB sans inclure la notion de      PPP qui, pour la Chine, est bien plus élevé que le simple PIB ? Et pourquoi      continuer à communiquer les statistiques en fonction du taux de change du     dollar ? Comment résoudre les inégalités ? Votre croissance est-elle due au   capitalisme ou au   socialisme ?

          – L’évaluation par le PIB dans le cas chinois est beaucoup plus signifiante que dans d’autres pays car notre économie est basée sur une production réelle. Notre politique a permis d’éradiquer la grande pauvreté et de diminuer les écarts entre la ville et la campagne, entre les régions et entre les revenus, par le biais de transferts d’investissements, d’amélioration des infrastructures et d’aides directes. La poursuite de l’urbanisation, l’intégration entre les zones rurales et les villes environnantes, la construction de nouvelles infrastructures dans les zones rurales devraient continuer à réduire la polarisation. Par ailleurs, nous avons un système fiscal progressif, une assurance sociale et un système d’aides pour les plus pauvres, en particulier au cours de la période des restrictions dues au covid. Tout cela contribue à diminuer les différences mais nous devons introduire toutes ces mesures de façon telle que cela ne provoque pas en retour un développement de la paresse.

          Pour ce qui est du marxisme, les politiques du PCC sur les questions propriété et de distribution montrent que le PCC est strictement marxiste. En Chine, c’est la propriété publique qui est dominante et elle joue également un rôle indirect par le biais des propriétés mixtes qui permettent d’insérer l’économie privée au sein des mécanismes de l’économie publique. Tous les secteurs stratégiques en Chine appartiennent à l’État et le système de distribution est bâti en fonction du travail, de la protection des droits des travailleurs et de la redistribution de la richesse. Il y a interaction entre le plan et le marché.

          Jiang Yigao (Chinese Civil Engineering Construction corp. Entreprise née en 1979, au tout début de la politique d’ouverture). Elle possède 111 filiales dans le monde entier avec 38 000 employés. Construction, design, consulting, financements, investissements, chemins de fer. Elle a formé 31 000 employés dans les pays où elle est présente. Construction de chemins de fer en Afrique, d’une université au Nigeria, etc. Elle a construit 9 000 km de chemins de fer à l’étranger (Afrique, EAU, Asie, etc). En Ethiopie la construction de la ligne de chemin de fer a permis la création le long de la ligne de 100 000 emplois et de six parcs industriels. Projets hydrauliques financés par la Banque africaine de développement, autoroutes, ponts, centres médicaux, logements, stades, aéroports, centrale d’énergie, tramways. La société est aussi présente en Europe, en particulier en Europe orientale et en Allemagne où elle construit des chemins de fer, des routes, organise le système de drainage des mines, des logements et des écoles, des formations. Elle s’est lancée en partenariat avec des Européens dans des projets en Afrique.

          Contemporary World Magazine (édité par l’ID CPC http://www.ddsjcu.com) : pour la promotion d’un développement plus équitable en faveur des régions les plus pauvres. Pour la promotion du développement international. Appel à des contributeurs étrangers, chercheurs ou politiciens. Aujourd’hui, la situation internationale est devenue imprévisible. Promotion d’une version digitale du magazine qui atteint 7 millions d’abonnés.

          Gao Yang : Il vient de revenir à Beijing après trois années passées dans la politique de développement régional au Xinjiang. Son intervention avait pour titre « Pour la promotion d’une communauté humaine d’avenir partagé ». Les gens de tous les pays réalisent que ce à quoi aspirent toutes les sociétés c’est l’abondance matérielle, la paix, la stabilité et la prospérité culturelle. Pour atteindre ces objectifs, nous avons besoin de croissance, de sécurité et de civilisation, chaque aspect est complémentaire des autres et le tout se renforce mutuellement. Le Président Xi Jinping a en effet proposé en mars de cette année une initiative globale de civilisation, la troisième initiative globale donc qui vient compléter l’initiative du développement global et celle de sécurité globale. La croissance est à la base de la sécurité et de la civilisation. C’est seulement quand les pays prospèrent que la paix peut durer et la civilisation s’épanouir. Pour avoir la paix, il faut des gens bien nourris et bien habillés. Réciproquement, il ne peut y avoir de développement économique sans stabilité et sans sécurité.

          Ces trois initiatives globales, qui mettent l’accent sur les enjeux fondamentaux dans un contexte de changement profonds et inédits dans le dernier siècle, tracent des chemins praticables pour qu’à l’échelle du monde se bâtisse une communauté humaine avec un futur partagé. Entrant dans une période de turbulence et de transformation, l’humanité a une fois de plus atteint un carrefour de l’histoire. Son futur dépend du choix de tous les peuples de par le monde. L’initiative de développement global (IDG) c’est d’abord l’aspiration et le besoin urgent, particulièrement pour les pays en voie de développement, d’une croissance économique plus rapide. Il faut résoudre le problème du développement inégal et impropre à l’intérieur même des nations et entre les nations. Pour toutes les question liées aux conflits, aux guerres, à la stabilité et à la paix, l’IDG met en évidence la voie pratique pour arriver à l’initiative globale de sécurité (IGS) qui consiste aussi à traiter les point chauds régionaux et les conflits géopolitiques. Le succès que la Chine a obtenu en réalisant la médiation entre l’Arabie saoudite et l’Iran ainsi que son engagement à promouvoir un accord politique dans la crise ukrainienne à travers des pourparlers de paix, sont des exemples de la façon dont nous adressons les dilemmes sécuritaires dans le cadre de l’IGS.

          L’initiative globale de civilisation (IGC) vise quant à elle à achever l’unité dialectique basée sur ce qui rassemble les civilisations au-delà de leur diversité, en recherchant les points communs entre elles tout en respectant intégralement leurs identités propres. D’un côté l’ICG souligne l’importance pour chaque civilisation de bien cultiver son héritage unique, en maitrisant au mieux son histoire présente et passée, comme un miroir pour comprendre le présent et le futur. En même temps l’IGC appelle à un dialogue inter-civilisationnel et à des échanges soutenus de peuple à peuple afin de mieux se découvrir mutuellement et de nouer des liens d’amitié. Les outils du matérialisme dialectique et historique sous-tendent la vision des trois initiatives, révélant les lois qui gouvernent le développement de la société humaine et sa direction future. Le peuple y est toujours au centre. La civilisation chinoise a toujours prôné les liens de parenté entre toutes les créatures. Nous sommes à la veille d’une ère nouvelle pour toute l’humanité et cela pose la question de la guerre ou de la paix. Pour garantir la paix, il faut pouvoir imposer par la force la renonciation à la violence, ce qui permettra de déboucher sur une coexistence pacifique. Non pas sur la base d’une politique de force et de clash des civilisations mais sur la base d’un futur partagé. La Chine ne va jamais rechercher l’hégémonie car nous recherchons la paix et le développement, ce qui est à la fois notre intérêt et celui de toute l’humanité, il n’y a aucune contradiction entre les deux.

          Question : la guerre contre la pauvreté, l’unité et la diversité, le bien et l’intérêt commun contre l’individualisme, tout cela entre en opposition avec la financiarisation de l’économie qui s’oppose à l’économie physique. Or qu’en est il de la spéculation immobilière en Chine ? Et pour l’Afrique, est-ce que la Chine ne contribue pas à l’endettement de ces pays ?

          – La construction des infrastructures en Afrique aboutissent à la diminution constante de la main-d’oeuvre chinoise au profit de la formation d’employés locaux réalisant des projets décidés par les Africains. La construction par les Chinois de centres de formation devrait aboutir au résultat d’avoir aujourd’hui dans les projets chinois en Afrique, un Chinois pour 15 locaux. Si cela n’a pas toujours été le cas, désormais embaucher un Chinois revient plus cher. Mieux vaut embaucher des locaux et les former. L’objectif de la Chine dans son aide au développement est à long terme, il s’agit d’investissements qui doivent créer un cercle vertueux entre la Chine et les pays partenaires. La Chine forme des étudiants étrangers, elle permet la création de parcs industriels le long des chemins de fer qu’elle construit et cette expérience a d’ailleurs été réutilisée en Chine même, au profit des régions les plus pauvre du pays.

          Sur la question de la rentabilité des investissements en infrastructure : « si tu veux devenir riche, construis une route » dit le proverbe chinois. On ne doit pas considérer ce que rapporte un chemin de fer par exemple, par le seul revenu venant des tickets vendus ou du règlement des factures de transport de marchandises. La vente des billets couvre les coûts d’exploitation (coûts de fonctionnement au jour le jour : énergie, salaire des personnels), pas les coûts liés aux investissements initiaux (les voies, les matériels ferroviaires). Il faut prendre en compte les revenus qui dérivent de l’activité induite par l’existence même de ce moyen de transport, en particulier les activités générées au sein des parcs industriels le long du chemin de fer. Si les retombées pour l’économie du pays sont toutes prises en compte, on estime qu’un dollar investi dans le chemin de fer, créé 9 dollars d’activité induite.

          Pour ce qui est du secteur immobilier, il faut d’abord noter le développement réel de ce secteur. L’intervenant lui-même mentionne qu’il est originaire de la campagne et qu’il a pu ainsi mieux mesurer l’amélioration réelle de la qualité de vie dans les campagnes. Il y a une crise en Occident mais il n’y a pas de crise en Chine. Suite à l’augmentation excessive des prix notamment dans les villes, la crise immobilière en Chine est le résultat du changement de politique décidé par les pouvoirs publics visant à provoquer un déclin relatif des investissements dans ce secteur. Le problème du secteur immobilier a été détecté par nous-mêmes et nous l’avons fait porter sur le dos des spéculateurs dans le but de diminuer l’importance de ce secteur et tout particulièrement de la partie de ce secteur orientée vers les plus riches. l’État a planifié cette « crise » qui a servi d’avertissement.

          Un énorme complexe de bâtiments construits à flanc de montagne avec le gros des collections sous-terre. La partie visible est en partie ouverte aux visiteurs et a pour objet de montrer l’histoire de l’écrit en Chine. Chaque époque est traitée en montrant des œuvres de l’époque, choisies en fonction des priorités politiques actuelles. Montrant par exemple des documents anciens soulignant le caractère anciennement chinois de territoires contestés en mer de Chine, etc. Une importante section est dédiée aux études des œuvres du marxisme-léninisme sous le titre « La voie vers la vérité », une autre à la pensée de Mao Zedong puis d’autres aux théories de Deng Xiaoping, Jiang Zemin, Hu Jintao et Xi Jinping.

          Nous y avons été amenés par trois employés de l’ID CPC qui aiment y venir. Musique rock chinoise avec refrains en anglais, look « mondialisé anglo-saxon ». Lieux de rencontre de jeunes « branchés » qui aiment boire de la bière locale « faite maison ». Je demande à l’une de nos accompagnatrices qu’elle me traduise le texte de la chanson (techniquement assez bien faite d’ailleurs), elle me répond que c’est une des chansons les plus populaires dans la jeunesse chinoise aujourd’hui mais qu’elle ne connaît pas les paroles.

          Le lendemain, longue conversation avec une jeune employée de l’ID CPC qui connaît l’Europe. Elle parle de la jeunesse chinoise, du prix élevé des logements, des distances à parcourir entre son logement et son travail, du fait que les jeunes ne savent plus s’ils vivront mieux que leurs parents, que leurs parents avaient un avenir prévisible, que ce n’est plus le cas pour les jeunes et que la crise du covid a été un choc car ils ont soudainement compris que l’avenir n’était pas écrit d’avance. Globalement, elle pense que ses parents ont peut-être eu une vie meilleure qu’elle, que la jeunesse chinoise remet en avant par individualisme grandissant la centralité du travail comme valeur dominante en Chine et que le collectif et les entreprises devraient penser un peu plus aux intérêts des individus. Elle pense qu’avoir un enfant aujourd’hui ça coute cher à élever, à nourrir et à éduquer, que beaucoup de jeunes ne veulent pas avoir d’enfants car c’est une trop grande contrainte, et que s’ils en ont, ce sera rarement plus d’un enfant. Bref des questions qui ressemblent beaucoup à celles des jeunes des « classes moyennes » occidentales. Cela étant, elle nous dira par la suite très honnêtement qu’elle a demandé son adhésion au Parti « comme presque tous les jeunes des meilleures universités » par conformisme et parce que cela pouvait « un peu » aider dans sa carrière mais qu’après quelques années d’appartenance, de réunions de formation sur l’histoire du Parti et sa philosophie et de sessions de critiques et d’autocritiques visant à améliorer sa moralité et son comportement elle a été convaincue que le Parti était réellement là pour « servir le peuple » et qu’elle est contente de travailler à cette mission.

          Visite de la cité interdite sous la pluie, un lieu très fréquenté par les touristes, d’une grande beauté, très bien entretenue, mais palais et temples assez vides car la plupart des pièces ont été emportées par le Kouomintang à Taïwan au moment de sa débâcle et de la libération de Beijing. Elles sont exposées à Taipei dans un immense musée du palais impérial bâti là-bas à cet effet …et qui prouve bien que Taïwan se considère comme chinoise et en est fière !

          Les Chinois sont très fiers de leurs traditions mais la société semble en même temps très laïcisée, voire athéisée. Je constaterai tout au long de mon voyage que peu de Chinois comprennent ce qu’est la foi et la religiosité telle qu’elle peut être vue dans les pays de tradition monothéiste ou même dans les autres pays de tradition bouddhiste. J’ai noté un moment particulier. Lors de la visite du temple du Ciel, il y a une pierre sur laquelle l’empereur se plaçait chaque année pour accomplir une prière demandant de bonnes récoltes et où il était censé avoir alors le lien direct avec le ciel pour que sa prière soit exaucée. Une masse de touristes chinois se font photographier sur cette pierre et font des vœux au ciel. Cela ressemble plutôt à une rigolade qu’à un acte sérieux et je demande aux cadres du Parti pourquoi ils ne font pas comme eux et je reçois la réponse, « ce sont des superstitions, nous devons les combattre ». A ce moment là arrive un groupe organisé d’hommes et de femmes portant tous les mêmes chemises et un badge avec une étoile rouge, certains en plus un badge de Mao Zedong et certains même un troisième badge communiste. Et les uns après les autres, ils vont sur cette pierre en rigolant et en se faisant photographier. Je dis à la cadre qui venait de me parler des superstitions  « Vous voyez, vous ne pouvez pas dire que eux ce ne sont pas des communistes et pourtant ils vont sur cette pierre comme les autres », ce à quoi elle me répond « ce ne sont visiblement pas de vrais communistes, tout au moins pas des cadres communistes ! On ne doit pas rigoler de la religion, on doit la traiter sérieusement et la combattre sérieusement ». Je lui demande alors si on peut être membre du PCC et croyant, elle me répond que non, les croyants peuvent adhérer aux autres partis politiques chinois associés au PCC mais ne peuvent pas adhérer au PCC. Les membres du Parti communiste peuvent entrer dans des temples religieux mais ils n’ont pas le droit d’y faire de rituels religieux. Ce qui explique pourquoi, par exemple, les Ouïghours qui font le Ramadan ne peuvent être membres du PCC (et ce qui a donné en Occident la version médiatique qu’on traque en Chine les fonctionnaires pratiquant l’islam, mais en fait on les exclue du Parti comme tous les autres pratiquants). Mais elle reconnaît que dans le Parti on trouve des gens qui camouflent leurs croyances.

          J’ai eu aussi une longue discussion avec un cadre de l’ID CPC sur la question de savoir comment empêcher la dégénérescence du pouvoir populaire. Il m’a parlé du rôle très important de la Commission de contrôle au niveau central et à chaque niveau de l’organisation. Elle a plus de pouvoir que le Comité central et peut enquêter sur n’importe quel membre de la direction du Parti. Le Parti avance selon lui selon le principe « d’auto-révolution » qui vise à ce que chaque membre et chaque organisation du Parti s’améliore et surveille son propre comportement et celui de ses camarades. Chaque membre du Parti doit contrôler la discipline et l’honnêteté de chaque camarade, à quoi s’ajoute la formation théorique par la lecture des œuvres du marxisme-léninisme et de Mao Zedong. Le Parti à chaque niveau consulte les masses à propos du comportement des membres du Parti. Chaque promotion se fait après avoir envoyé le membre promu dans différentes missions et enquêté auprès des masses de chaque lieu d’activité sur l’opinion qu’elles ont du militant en question. Si les opinions concordent dans ces différents lieux, le militant est élu cadre à un niveau de base et ainsi de suite jusqu’au niveau national. Donc chaque cadre du Parti a d’abord « tourné » à différentes missions dans son entreprise puis son quartier, puis ensuite au niveau de son district, puis de sa province et finalement au niveau de tout le  pays. Et c’est donc après ce processus qu’il peut être élu au Comité central où il reste sous la surveillance de la Commission de contrôle et « des masses » parmi lesquelles il est en mission.

          Un autre point que j’ai remarqué en Chine c’est que le noyau dirigeant chinois est très masculin mais que les femmes sont particulièrement nombreuses à l’échelon immédiatement inférieur, dans le Parti comme hors du Parti (direction des départements au Parti, des hôpitaux, etc.)

          Le hasard a fait que à la table d’à côté du restaurant de l’hôtel où nous étions, j’ai remarqué une délégation syrienne (que j’allais recroiser d’ailleurs au Qinghai) et je suis allé vers eux. Cette délégation était nombreuse et pour moitié composée de femmes, c’était une délégation officielle du Baath socialiste arabe syrien (le parti du président Assad), ce qui montre l’étroitesse des relations de ce parti avec le PCC. J’ai donc discuté avec eux un long moment. La discussion a été très chaleureuse, ils m’ont dit que la Syrie n’avait pas cédé et que maintenant, même si la situation économique du pays sous blocus était catastrophique, la partie était gagnée, les Occidentaux n’ayant pas réussi à casser la colonne vertébrale du peuple syrien. J’ai expliqué que j’avais été deux fois en Syrie avant la guerre et que j’y avais même rencontré le président Assad dans le cadre d’une visite organisée par l’Appel franco-arabe et les éditions Le temps des cerises (dirigée alors par Francis Combes). Je garde de cet échange ce qu’ils m’ont dit lors de notre conversation, à savoir qu’en Syrie on fait la différence entre le peuple de France et ses élites, qu’un sentiment de solidarité très fort existe chez les baathistes envers la Russie, la Chine et l’Iran et qu’ils sont persuadés que l’intégration de toute l’Eurasie est en route alors que les USA sont sur le déclin. « Malgré le fait qu’ils détruisent notre monnaie, qu’ils nous affament, qu’ils volent notre pétrole et qu’ils bloquent même l’importation de médicaments, nous restaurons nos capacités productives, nous sommes un peuple patient, nous avons le temps et la ténacité et nous avons déjà gagné. La Russie n’a jamais été défaite dans l’histoire et en s’attaquant à elle les USA se sont condamnés, les Européens doivent comprendre que la guerre que les USA ont lancé contre la Russie est encore plus une guerre contre les Européens »

          La première journée de séjour à Xining, la capitale de la province la plus pauvre du pays, le Qinghai, nous nous sommes promenés sans programme dans la ville. Une ville très moderne qui a connu un agrandissement très récent et où habite presque la moitié de la population de la province (la plupart des constructions remontent à moins de 15 ans). C’est une ville à majorité han dans une province où les minorités nationales représentent la moitié de la population (Tibétains, Mongols, Houeï-musulmans, Ta et autres).

          Nos hôtes ne cachent pas qu’ils ont voulu nous montrer leurs réalisations dans cette région pauvre, pluriethnique et encore écologiquement préservée et que c’est la raison pour laquelle c’est une province pilote. Ce que nous verrons seront des réalisations modèles qu’il faudra ensuite généraliser à l’ensemble de la province et du pays. L’expérience acquise par les Chinois en Afrique et ailleurs à l’étranger leur a servi disent ils pour faire de même dans les régions intérieures défavorisées de la Chine. C’est donc à partir d’une expérience extérieure que les Chinois se sont mieux attelés à une tâche comparable chez eux.

          Notre visite de Xining a donc commencé par la visite de la communauté de résidents de Wentingxiang construite récemment et qui est un quartier modèle récemment visité par Xi Jinping. Il y a dans cette communauté de logements 7 232 logements construits en hauteur pour 22 000 habitants. La communauté est divisée en petites cités, chacune ayant son propre comité de résidents. L’organisation du Parti de la communauté compte six cellules avec 952 membres. La majorité des habitants appartient à l’ethnie han mais les minorités nationales sont regroupées dans une cité afin de faciliter la préservation de leurs langues et de leurs traditions culturelles. L’objectif affiché est donc de faciliter l’intégration pluri-ethnique par une cohabitation au sein de la communauté de résidents tout en préservant simultanément les traditions culturelles des minorités nationales. Chaque minorité nationale peut cultiver ses traditions et les faire partager aux habitants de toute la communauté. C’est ainsi que pour les fêtes lamaïstes tibétaines, le nouvel an tibétain ou l’Aid musulman, tous les habitants sont sollicités pour assister à des manifestations artistiques et goûter à des plats spécifiques. J’ai pu remarquer que, en Chine, le port du foulard islamique pour les femmes ou de la chechia pour les hommes est assez répandu et ne semble poser aucun problème, il est considéré comme une tradition culturelle ethnique tout aussi respectable que les habits traditionnels des autres minorités, y compris à l’école où la tendance dominante reste cependant l’uniforme commun à tous les élèves de chaque établissement, et se différenciant des uniformes d’autres établissements. On peut remarquer que beaucoup d’élèves portent aussi le foulard rouge de l’organisation des pionniers de la jeunesse communiste.

          Une partie des activités sociales de la communauté est déléguée à des bénévoles. Les personnes âgées habitent avec les plus jeunes ou dans des logements où elles sont mélangées avec des plus jeunes. Chaque personne âgée doit pouvoir avoir à moins de quinze minutes de marche un accès à un club où elle pourra exercer des activités sociales permettant aussi de mieux irriguer leur cerveau (calligraphie, chant, broderie, peinture, lecture, etc.). Un local existe pour des consultations médicales et psychologiques. Le vivre ensemble est favorisé par le biais d’activités communes et d’activités de dialogue visant à éliminer les sources de tensions ou de violences. Des activités de formation sociales, artistiques, politiques, etc sont proposées. Les habitants modèles sont proposés en exemple à leurs voisins et les personnes âgées ayant eu un parcours de vie intéressant sont sollicitées comme exemple pour parler de leurs vies aux plus jeunes. Tous les samedis ont lieu des rencontres de voisinage pour promouvoir « l’auto-gouvernance » et « l’harmonie collective », et éliminer à la base les problèmes d’insécurité et d’incivilité afin qu’ils soient réglés avant d’avoir besoin de faire appel à la police. Le commissariat local de la « police du peuple » est en relation directe avec les comités de résidents pour prévenir les tensions et mener des activités d’éducation au droit. L’objectif affiché par les élus de la communauté est de ne laisser personne seul ou inactif, quelque soit son âge, ce qui passe par l’encouragement au bénévolat pour bâtir le lien social. Cette communauté est évidemment joliment construite, très verte, et fait figure de modèle à suivre. On peut penser que c’est une communauté exceptionnelle et que son rôle est de servir d’exemple à ce que le pouvoir cherche à propager sur tout le territoire. J’ai pu toutefois remarquer que partout où je passais en Chine, les allées étaient fleuries, les autoroutes bordées de larges espaces boisés, que les immeubles d’habitations ont tous un style spécifique, que les éclairages sont tous disposés la nuit de manière artistique, ce qui nécessite sans doute de fortes dépenses en électricité et que toutes les constructions nouvelles sont faites en tenant compte de critères écologiques visant à l’auto-suffisance de chaque unité en matière d’autonomie énergétique (panneaux solaires sur les toits, etc.).

          Toute la province a été érigée en territoire pilote pour la Chine en raison de son caractère pauvre, pluri-ethnique et écologique. La province est la source des trois plus grands fleuves chinois et de l’Asie du sud-est (Le Mekong, le Yangtzé et le fleuve jaune), c’est à cause de ses glaciers, qualifiés de « troisième pôle glaciaire » de la terre (derrière cette expression se profile des revendications chinoises pour intégrer le processus de gouvernance de l’Arctique). C’est donc pour cela qu’elle a été choisie comme province pilote pour le développement d’une « civilisation écologique ». Xining est par ailleurs, à côté de Xian et de Chengdu que nous allons aussi visiter, la tête de la ligne de chemin de fer du projet « Une ceinture, une route » BRI en direction du Xinjiang, du Kazakhstan, de la Russie, de la Biélorussie et du port sec polonais de Malaszewicze, tête de ligne pour les trains de marchandises chinois en direction d’Europe occidentale.

          A côté de cela, le Qinghai est le symbole du retour de la politique de l’État chinois vers le marché intérieur et les régions occidentales de la Chine contrairement à la première phase des réformes de 1978 quand ce sont les régions maritimes qui jouaient un rôle pionnier dans le développement de l’économie nationale et internationale.

          C’est un très vaste monastère avec une architecture extrêmement riche et bien entretenue qui permet de voir dans cette région multi-ethnique des caractéristiques tibétaines mélangées à une influence de l’architecture des régions hans et mongoles. L’impression générale que j’ai retenue est que les moines locaux ne faisaient pas grand chose si ce n’est de nous regarder, de loin, ce qui m’a donné un peu l’impression d’être un genre de touriste découvrant une réserve indienne, d’autant plus que le guide nous expliquant la religion tibétaine n’était pas un moine mais une guide han. Ce monastère qui a semble-t-il joué un rôle fondamental dans la naissance du bouddhisme tibétain est censé nous montrer la politique de tolérance et d’aide aux activités religieuses et culturelles mise en place par l’État chinois mais j’ai quand même eu l’impression que si, sur le plan du décorum et du respect stricte des règles du rituel, on a effectivement affaire à une protection du patrimoine historique et religieux tibétain, le volet « foi authentique » ne semble pas évident. Hormis les moines, c’est à une masse de touristes que l’on a affaire, un peu comme au mont St Michel, mais je n’ai vu en tout et pour tout au long de cette longue visite qu’une seule fidèle faire un acte de dévotion, les moines eux-mêmes donnant l’impression d’être désoeuvrés ou se livrant sur la place centrale du monastère à quelque chose qui ressemblait plus à un jeu qu’à des discussions théologiques, même si on m’a expliqué qu’ils « jouaient » ainsi en se tapant les mains dans un rituel coutumier pour prendre la parole et contredire l’autre moine qui venait de donner son interprétation de ce que les moines avaient lu pendant la matinée. La majorité des moines ne participaient à aucune activité et on m’a dit que l’après midi était le moment de pause après les études des textes sacrés du matin. Comme pause, j’avais plus l’impression de les regarder comme des animaux de zoo et eux aussi nous regardaient comme des bêtes étranges. Pendant ce temps là, la guide han nous expliquait dans le détail les fondements théologiques de la religion lamaïste sans oublier de mentionner en passant les inscriptions permettant de voir le rôle des empereurs de Chine dans le développement du monastère. Impression ambiguë. Mais, en ce qui concerne le nombre de moines, il faut constater qu’ils sont très nombreux et qu’on peut se demander qui les fait vivre.

          Le lendemain nous avons visité une usine de tapis traditionnels tibétains qui a été créée en 2007 en se basant sur les savoir faire ancestraux, par un propriétaire han et sa fille. C’est aujourd’hui une usine qui produit des tapis pour le monde entier. Certains continuent à être produits à la main par des maîtres du détail et de la perfection, d’autres utilisent des machines modernes conçues pour produire des tapis aux motifs divers mais découlant de la tradition tibétaine et aussi proches que possible de la solidité que les tapis faits à la main. Les clients peuvent aussi commander des tapis « mixtes », avec une base industrielle et une finition faite main. Les machines ont été importées de Belgique et du Royaume-Uni et la fille du propriétaire a fait à cet effet un long stage dans l’entreprise belge les produisant. L’entreprise familiale coopère avec les éleveurs de Yak de la région, elle a construit des logements à bas loyers pour ses employés, ce qui est une forme de salaire différé pour les ouvriers et surtout ouvrières non originaires de la ville. Il existe un syndicat et une cellule du Parti dans l’usine. Un des principaux rôle du Parti est d’aider à la formation politique et professionnelle des ouvriers membres pour les promouvoir ensuite à des postes de responsabilité.

          J’ai profité de cette visite et de la visite dans d’autres entreprises pour essayer de comprendre le rôle des organisations du Parti dans les établissements publics ou privés. J’ai noté qu’il n’y a pratiquement jamais de grèves dans les entreprises publiques où les conditions de travail semblent nettement supérieures à celles des autres entreprises, ce qui explique qu’un Chinois préfère travailler dans une entreprise publique d’autant plus qu’à l’école il apprend que les entreprises d’État sont synonyme de socialisme et d’avant-garde alors que les entreprises privées sont des concessions provisoires faites au capitalisme dans le but d’accélérer le développement des forces productives tant que les entreprises publiques n’auront pas appris à être aussi efficaces que l’initiative privée, et qu’une concession au capitalisme est nécessaire pour sortir la Chine du sous-développement. Au départ, les grèves étaient extrêmement fréquentes dans les entreprises à capitaux étrangers mais le Parti a finalement imposé la création d’organisations syndicales et du Parti dans ces établissements ce qui a abouti à la généralisation de l’application du code du travail et à la baisse radicale du nombre de grèves dans ces entreprises. Ce sont donc aujourd’hui surtout les entreprises privées à capitaux chinois qui sont touchées par des conflits sociaux de grandes ampleurs, d’où le soucis, comme dans l’entreprise décrite plus haut, d’établir aussi dans ces entreprises des syndicats et des organisations du Parti qui permettent une meilleure éducation politique des travailleurs et une meilleure conscience de leurs droits. En général, m’a-t-on dit, une entreprise où il n’y a pas d’organisation syndicale ou du Parti est plus suspecte et plus souvent visitée par les inspecteurs du travail.

          D’une façon générale, le Parti est un lieu où sont censés se retrouver les éléments les plus actifs, les plus éduqués et les plus utiles à la collectivité. C’est donc un lieu de formation et de promotion sociale. Mais pour éviter qu’il ne devienne un lieu de carriérisme, le candidat à l’adhésion doit obtenir une opinion positive de l’organisation du Parti qui vérifie sa motivation et son niveau de formation politique et idéologique et qui vérifie aussi auprès de ses collègues de travail quelle opinion ils ont de lui. Avant d’être accepté comme membre du Parti, il faut passer par l’étape du candidat à l’adhésion au cours de laquelle le postulant doit assister aux réunions, participer aux activités de l’organisation, réaliser les missions qu’on lui assigne, respecter les secrets internes à l’organisation mais sans droit de vote aux réunions. Chaque candidat au Parti est suivi par deux membres de l’organisation qui le conseillent, le forment et l’évaluent. Ce n’est qu’au bout d’un certain temps que l’organisation du Parti prend une décision sur son admission, le prolongement de son stage de candidat ou sa non admission. Le même processus se répète à chaque promotion interne à un niveau supérieur en partant de la cellule de base d’entreprise ou de quartier jusqu’au niveau de la direction nationale. A chaque fois on recueille les opinions concernant le candidat de la part des membres du Parti et « des masses » auprès desquels il a travaillé.

          C’est une énorme entreprise privée de production de panneaux solaires très largement automatisée et dont 2/3 du chiffre d’affaires provient des ventes faites à l’étranger. Elle possède un syndicat et une cellule du Parti. Dans cette usine comme dans celle des tapis, nos interlocuteurs insistent sur le rôle crucial de la Recherche/Développement et de la technologie.

Visite de l’exposition sur les « Réalisations du Qinghai dans la pratique de la pensée du Xi Jinping sur le socialisme aux caractéristiques chinoises pour l’ère nouvelle »

          L’exposition a montré les détails des initiatives prises pour lutter contre la pauvreté, éliminer la grande pauvreté, développer une économie productive et écologique et faire du Qinghai une base du projet « Une Ceinture, une route » en direction de l’Asie centrale, de l’Asie occidentale et de l’Europe.

Participation au meeting international sur les « Réalisations du Qinghai dans la pratique de la pensée du Xi Jinping sur le socialisme aux caractéristiques chinoises pour la nouvelle ère de l’humanité » et « la modernisation chinoise visant à l’harmonie entre l’homme et la nature »

          Notre délégation a été conviée à cette grande conférence de 150 représentants de partis politiques venus de 30 pays d’Europe occidentale et d’Asie, et avec lesquels le département international du PCC entretient des relations. Pour l’Europe occidentale, c’était notre délégation qui était présente, pour l’Asie-Pacifique, j’ai pu noter la présence de représentants du Pakistan, de Syrie, de Turquie, d’Iran, du Népal, des îles Fidji et sans doute d’autres pays encore.

          La rencontre a été présidée par Liu Jianchao, directeur de l’ID CPC de retour du Vietnam et du Laos. Il a axé son intervention sur les questions environnementales en soulignant qu’après de multiples études, le PCC avait décidé de lutter contre l’habituel « polluons d’abord et traitons ensuite » pour revenir à des principes contenus dans la culture chinoise traditionnelle d’harmonie avec la nature en même temps qu’on procède au développement économique. La décision a été donc prise lors du XVIIIe congrès du Parti en 2012 de bâtir une « civilisation écologique » visant à multiplier les efforts de la Chine dans ce sens à l’échelle mondiale. L’écologie étant le point clef correspondant à l’intérêt ultime de tous les peuples, de tous les pays, de tous les groupes sociaux et de toutes les orientations politiques, elle peut permettre de bâtir cette entente minimum entre les pays nécessaire pour préserver la paix et faciliter les coopérations économiques. La Chine est donc devenue en dix ans le pays qui s’est le plus développé dans le domaine de l’amélioration de la qualité de l’air, qui a réussi à garantir que 87 % de ses cours d’eau soient sains et qu’elle représente le quart des étendues reboisées dans le monde. La Chine est arrivée à cela en utilisant une approche holistique des questions économiques et écologiques, elle a décidé de favoriser un tourisme écologique et de faire du projet « une ceinture, une route » un axe de « développement vert » à l’échelle du monde. Le XXe congrès du Parti a poursuivi dans cette ligne de développement les concepts novateurs de Xi Jinping en matière d’écologie visant à construite un pays socialiste moderne contribuant à la construction d’une nouvelle civilisation pour l’humanité entière. L’intervenant a souligné la responsabilité des partis politiques du monde entier dans cette tache visant à inaugurer une nouvelle ère de progrès pour toute l’humanité.

          La parole a ensuite été prise par Chen Gang, premier secrétaire du PCC de la province de Qinghai. Ce dernier vient d’être élu à ce poste depuis huit mois et il est un nouveau venu dans la province. On lui avait dit avant de venir dans cette province que c’était une province difficile, pauvre, éloignée, au climat et à l’altitude (3000 m et plus) rudes mais il a tout de suite été charmé par sa « magnificente beauté » et le fait que sa tache était concentrée, selon les documents de l’ONU, dans « une des quatre région les plus propre du monde » ce qui devrait lui permettre de faire du Qinghai une province modèle pour la civilisation écologique chinoise en construction et pour le monde. Le Qinghai fait en effet partie du plateau Tibet-Qinghai encore peu touché par le changement climatique mondial et devant permettre plus aisément de passer de la théorie à la pratique. La mission qu’il a reçu du Parti pour appliquer la loi de la protection de la nature adoptée par la Chine et créer une région écologique modèle basée sur une vision innovante holistique de développement vert est donc exaltante. Il faut protéger et en même temps utiliser pour le développement le troisième pôle glacier de la terre. En développant le nombre de parcs nationaux et assurant la croissance des espèces naturelles locales, végétales et animales. L’humanité a-t-il dit ne peut se permettre de perdre la bataille contre les changements climatiques. La Chine atteindra en 2030 son pic carbone à partir de quoi il déclinera pour atteindre en 2060 la neutralité carbone. Au Qinghai, 84,5 % de l’énergie produite et consommée localement ou exportée dans d’autres régions du pays est une énergie propre.

          L’objectif décidé par le Parti est de construire « une belle patrie » respectueuse de ses traditions culturelles et ethniques et propageant un éco-tourisme réfléchi à la place du tourisme de masse abrutissant en vigueur dans les pays capitalistes. Au Qinghai, 146 000 éleveurs ont été formés pour être également des protecteurs de l’environnement selon la philosophie chinoise traditionnelle qui pourrait aider à promouvoir un futur commun pour toute l’humanité « tous sous un même ciel ».

          A ces deux interventions de cadres du Parti ont succédé six interventions d’acteurs de terrain décrivant leurs activités régulières dans le domaine de l’écotourisme, de logement pour touristes chez l’habitant, de guides touristiques et de protecteurs de l’environnement.

          Un intervenant est un éleveur qui a pu élargir ses activités, augmenter son niveau de vie, apprendre le chinois littéraire (« mandarin ») et établir des contacts et des coopérations mutuellement avantageuses avec les touristes qu’il a reçus, accompagné et avec lesquels il a établi des contacts réguliers utiles au lancement d’initiatives économiques transrégionales.

          Un autre intervenant est un « navigateur » qui a créé dans le désert du Gobi « une mer de panneaux solaires » à partir desquels s’est développée « une mer d’industries vertes » aidant aussi au développement de la faune locale.

          Un autre intervenant a développé des activités de recherches des changements climatiques et des conditions atmosphériques, un « ranger du parc national » chargé de surveiller l’environnement, un acteur du grand lac salé du Qinghai contenant du lithium et du sel. 70 % du lithium se trouve dans les lacs salés et 43 % du lithium en Chine se trouve dans le grand lac salé du Qinghai, ce qui a permis la création du groupe industriel du grand lac salé permettant de produire du lithium sans créer de problèmes environnementaux, à un coût moindre et de construire sur les rives du lac un parc industriel écologique.

          Une autre intervenante a décrit l’école pour enfants de nomades établies depuis 1958 et qui est devenue en 2004 l’école pour les enfants des éleveurs désormais rassemblés dans un nouveau village pour anciens nomades devenus à la fois éleveurs et gardiens de la nature collectant les informations sur l’évolution de la flore et de la faune locales.

          Ont suivi deux interventions des représentants étrangers présents à cette rencontre. La délégation des pays d’Asie était représentée par le Parti communiste du Népal d’Unité marxiste-léniniste dont le représentant a parlé de la modernisation de la Chine, de la crise écologique menaçant la vie des peuples. Il a parlé de l’expérience gouvernementale de son parti qui a donc été confronté à la question du développement économique et écologique dans la situation d’une compétition géopolitique mondiale freinant le développement d’un consensus minimum pour l’humanité. Il a souligné l’importance de quatre idées : la modernisation verte, la sécurité écologique, la solidarité coordonnée, l’initiative chinoise pour la promotion d’un civilisation écologique mondiale. La Chine et le Népal a-t-il dit sont de bons voisins tant au niveau des relations d’État à État que de Parti à Parti. La délégation d’Europe occidentale était représentée par le membre du bureau politique d’AKEL qui a parlé de son observation de la société chinoise et de la nécessité de développer des canaux de communication avec la Chine pour mieux connaître ce pays malgré la pression médiatique des pays menant une politique impérialiste allant à l’encontre des politiques honnêtes promues par la Chine en direction de la paix et de bénéfices mutuels. Il a parlé de la politique dialectique d’égalité, de paix, de démocratie et de modernisation socialiste promue dans un environnement mondial difficile nous forçant à reposer la question « socialisme ou barbarie ». Il a mentionné la politique impérialiste des Etats-Unis contre le peuple chypriote faisant contraste avec la politique de la Chine visant à redessiner une gouvernance mondiale qui explique pourquoi le monde entier attend beaucoup de la Chine qui avance de façon régulière grâce à ses plans quinquennaux et sa politique d’harmonie avec la nature.

          Ce parc écologique a été créé dans une région de haute montagne très spectaculaire. Le touriste ne peut s’aventurer n’importe où dans le parc mais marche sur une large ponton de quelques kilomètres en bois placé à un mètre environ au-dessus du sol ce qui lui permet de passer par tous les endroits intéressant du parc sans interférer avec la faune et la flore locales. C’est un endroit vénéré par les Tibétains et une de ses montagnes est ornée d’une gigantesque statue de Bouddha où les croyants viennent se prosterner.

          A la fin de la visite, les délégations ont eu droit à un repas dans une immense tente construite près du parking de sortie. Des artistes des différents groupes ethniques habitant la province ont exécuté des chants et des danses, ce qui a poussé les Pakistanais présents et très réactifs à ces incantations himalayennes et comparables aussi aux incantations islamiques (le Pakistan est à la fois himalayen et islamique) à se joindre aux danseurs et à exécuter avec eux des danses pakistanaises, créant ainsi une ambiance d’amitié qui a poussé les Fidjiens présent à rejoindre la piste de danse et finalement tout s’est terminé dans une immense danse improvisée sino-tibéto-pakistano-fidjo-européenne aux sons d’un orchestre tibétain donnant le « la » …Une ambiance extraordinaire de fraternité et d’amitié spontanée entre les peuples. Ce qui est d’autant plus notable que les Pakistanais qui ont joué un rôle moteur dans cette « déformalisation » de  l’événement représentaient des partis différents allant de partis laïcs socialisant à la Ligue musulmane et que tout le monde, y compris un mollah, s’est retrouvé à danser dans une danse plurinationale et mixte. Le mollah en particulier, le jour précédent, m’avait été signalé par un des Pakistanais comme un homme rigide refusant la danse, la musique, la mixité et tout ce qui rend sur terre la vie agréable. Cette fois ci, ses compatriotes ont réussi à le pousser vers la piste de danse …en l’entourant toutefois un peu pour qu’il ne touche pas par inadvertance une femme en train de danser. Délicatesse réussie et remarquable de leur part qui augure de la possibilité d’un monde meilleur là où certains s’y attendraient le moins. D’une façon générale, j’ai été impressionné par la grande politesse, la grande délicatesse et la grande capacité des Chinois à créer, par petites touches, des liens entre personnes venues d’horizons très différents, ce qui m’a poussé à croire qu’ils souhaitent réellement un monde de paix, de coopération et de relations humaines et commerciales stabilisées, confiantes et mutuellement avantageuses.

          Ce village modèle a été bâti pour des anciens nomades tibétains qui ont accepté de se sédentariser. Le village fait un peu carte postale avec tous les bâtiments, objets et monuments censés montrer la sollicitude des autorités envers la culture tibétaine. Nous avons donc eu droit à la visite de la très belle salle d’exposition de la culture locale, d’une danse traditionnelle « spontanée » au bord de l’eau, de stands où l’on pouvait acheter tous les produits de l’artisanat local et d’une visite dans une maison d’hôtes modèle où l’on nous a fait déguster le beurre tibétain mélangé à des herbes et quelque chose qui m’a semblé être une sorte d’orge local. Le village est en principe tibétain mais j’y ai croisé quelques femmes houeï en foulard islamique et nous avons pu échanger par l’intermédiaire de notre interprète avec deux délicieuses petites filles tibétaines rencontrées au bord du trottoir et qui nous dévisageaient avec intérêt. Elles devaient avoir six ou sept ans et pouvaient nous parler en chinois qu’elles apprenaient à l’école. Elles nous prenaient pour des Américains, le seul pays « blanc » dont elles avaient connaissance, le mot France ne leur disant rien.

          Nous sommes ensuite arrivés dans la ville de Tongen, capitale d’une préfecture autonome tibétaine où nous avons visité cet institut d’exposition d’art bouddhique et de peinture Thangka. Nous avons été accueilli par le fondateur et directeur de cet institut accompagné de deux cadres portant un badge rouge avec la faucille et le marteau. Ce directeur a visité plusieurs pays du monde et y a organisé des expositions du travail de ses élèves. Impressionnant de voir ces élèves peindre détail ultra-minutieux après détail ultra-minutieux, chaque élément de ce tableau sacré qui prendra quelques mois voire plus avant d’être réalisé. J’avais au départ l’impression qu’il s’agissait d’un travail à but lucratif pour riches touristes ou pour lieux de cultes en demande, mais sans grande consistance mystique. Mais notre interprète chinoise nous a expliqué qu’un tel travail était impossible à exécuter sans une foi profonde, non seulement parce que le soucis du détail rendrait n’importe quel « mécréant » impatient et incapable de poursuivre l’oeuvre jusqu’au bout mais parce que chaque artiste qui a passé des années à apprendre ce travail doit donner sa propre interprétation du verset sacré qu’il a choisi de décrire par sa peinture, ce qui nécessite une très bonne connaissance de la croyance et une conviction intime devant transparaître dans l’oeuvre et être convaincante pour les croyants, en particulier pour les maîtres du bouddhisme lamaïque avec lesquels on ne peut pas tricher. Cette explication m’a paru crédible, même si j’ai à cette occasion pu ressentir à quel point le mysticisme tibétain et sans doute plus largement asiatique est très éloigné du mysticisme de nos monastères chrétiens.

          Après le périple au Qinghai, région rocailleuse et grandiose de haute montagne, nous nous sommes envolés vers Chengdu la capitale du Sichuan verdoyant. Le Sichuan est une des provinces chinoises les plus engagées dans les innovations et la recherche de nouvelles méthodes économiques, sociales et politiques. C’est aussi une province que les Chinois considèrent comme un endroit où l’on est plus détendu et où l’on peut mieux s’amuser et passer du bon temps. C’est une des provinces ayant ses propres services de relations internationales et qui est très fière d’avoir un des aéroports internationaux de Chine. Nous avons été accueillis à l’aéroport par le délégué aux relations internationales du PCC de la province. La première rencontre que nous avons faite était en présence de nombreux dignitaires sous la présidence du chef des ONG de relations internationales du Sichuan. En fait nous allions comprendre que c’était un ancien dirigeant du Parti et de l’administration provinciale et ce qu’on peut appeler en Chine une « éminence grise », une personnalité qui, par son âge, son expérience et son autorité morale jouit dans la société d’une autorité informelle mais autrement plus importante que beaucoup de hauts fonctionnaires « en activité ». La Chine est une société qui respecte profondément l’âge.

          Le Sichuan est une région d’expérimentations économiques qui nous a reçu de façon princière et très amicale. Nous avons eu au cours des banquets beaucoup de conversations informelles sur le monde, l’Europe, la Chine, etc. Cela a beaucoup aidé à comprendre « la Chine de l’intérieur ».

          Le soir nous sommes allés dans un club « underground » pour la jeunesse très branchée de Chine, chansons anglo-saxonnes, rythme ultra-bruyant, jeunesse qui se saoule un max et tout cela avec de jeunes membres du Parti en visite au Sichuan et enchantés de se retrouver dans un lieu aussi …branché. Le Parti aura des problèmes à lutter contre ce qu’il appelle la « pollution spirituelle » venant de l’Ouest ! Les jeunes des classes moyennes en Chine semblent parfois plus proches des jeunes d’Europe ou d’Amérique que de leurs grands parents. En est il autrement chez les jeunes des classes populaires ?

          Deux économistes, un homme et une femme, du Parti local se relayaient lors de cette séance. Le premier a fait son intervention et la seconde répondait aux questions ou donnaient des conseils à son collègue comment répondre aux questions (le professeur Xu Yan, directeur du département d’enseignement et de recherche économique pour l’école du parti du comité provincial du Sichuan et la professeure Guo Xianfeng, directrice adjointe)

          L’intervention a commencé par une explication sur la manière dont on a cherché à trouver le moyen juste pour répondre aux spécificités locales de la province du Sichuan. Pour cela il a fallu trouver les atouts de la province pour la rendre compétitive par rapport aux provinces plus riches. Ce qui est passé par :

1°/ La compétitivité des industries traditionnelles sichuanaises d’avant la période de réforme et d’ouverture (1978)

2°/ La prise en compte du fait que le Sichuan était riche en énergies propres

3°/ Le potentiel de cohérence des industries d’importance stratégique en combinant les vieilles usines avec la création de nouvelles usines

          Les industries traditionnelles au Sichuan étaient l’électronique, l’automobile, la nourriture, le textile, la production de machines, la production d’énergie, l’industrie pharmaceutique. Les investissements ont donc été concentrés dans l’amélioration du potentiel de ces secteurs. Dans la foulée on s’est lancé dans la construction d’industries vertes et le Sichuan est devenu le « hub propre » de la Chine, en particulier grâce à ses ressources hydro-électriques, ses réserves de gaz naturel et de gaz de schiste. Le Sichuan s’est aussi lancé dans la production de batteries au lithium et il profite du fait qu’il possède 14 ressources minières d’importance stratégique.

          Le Sichuan a su combiner tradition et innovation, ce qui a boosté sa productivité. Il est en train de construire dans deux villes de la province un « hub » scientifique, technologique et informatique, ce qui devrait accroître la compétitivité de la province. Le Sichuan est enclavé, ce qui constitue un handicap, ce pour quoi il a beaucoup investi dans les infrastructures de transport, désormais ouvertes sur le monde par l’aéroport international et par le chemin de fer qui relie Chengdu au réseau « une ceinture, une route » BRI.

          Une politique de développement intégré des villes et des campagnes a été lancée dans le but de diminuer l’écart entre ces deux espaces. Vu la configuration du Sichuan, une agriculture de grandes exploitations comme en Europe ou aux USA est impossible à introduire dans la province, ce qui implique la construction d’un système d’agriculture socialisé permettant une synergie entre exploitations et marchés urbains. Les développements urbains ont été élaborés en cercles concentriques à partir du centre ville vers les banlieues et les campagnes environnantes. Les intervenants concluent en soulignant que l’Europe est pour eux un partenaire de premier plan et que par ailleurs le développement de la Chine contribue au développement de toute l’économie mondiale.

          Les questions posées portaient surtout sur la polarisation ville campagne et l’aspect social. Une des questions soulignait que la Chine pour développer ses forces productives avait à partir de 1978 fait appel au secteur privé comme élément nécessaire pour construire les bases du futur socialisme mais que, à terme, pour arriver au socialisme, le secteur privé devrait être socialisé. L’économiste a répondu en disant, certes, mais que Deng Xiaoping avait dit que la période de développement des forces productives nécessitant le maintien d’un secteur privé serait longue et que, pour le moment, ce qui donnait à la Chine son caractère socialiste, c’est le fait qu’elle menait une politique résolue de lutte contre la pauvreté.

          On nous a montré cette entreprise en nous disant que nous étions des amis du peuple chinois et qu’on nous la montrait pour cette raison mais que nous ne pourrions pas photographier car on nous montrerait des choses confidentielles. Cette entreprise lancée au départ par un père et son fils, aujourd’hui cotée en bourse, s’occupe de la production de pièces et moteurs pour avions, de la maintenance et plus récemment de la diffusion de la 5G. Elle a des accords de coopération avec Airbus, Boeing, Thales, Israel defense industry et beaucoup de compagnies aériennes de par le monde. C’est une entreprise privée de pointe qui a connu un développement ultra-rapide et où il existe une organisation syndicale et une cellule du PCC.

          C’est en fait un parc modèle pour habitants avec en dessous du parc et des lacs à l’eau pure, sous terre, une immense station d’épuration d’eau et autour un quartier résidentiel avec des immeubles et services ultra-modernes. Autre cité modèle.

          Dans la campagne assez loin de Chengdu, on a visité le parc zoologique qui abrite l’animal fétiche du Sichuan renommé dans toute la Chine, le panda. On trouve dans ce parc des pandas noirs et des pandas rouges. Le panda était une espèce menacée à cause de la disparition de son habitat mais il est en train de reprendre vie avec les mesures de protection de l’environnement qui ont été prises. Sur les 1 500 pandas vivant, un millier est aujourd’hui en liberté et 500 en captivité. Le problème des pandas est qu’ils sont lents et donc voudraient bien manger de la viande mais ont rarement la rapidité nécessaire pour chasser leurs proies et doivent se replier sur le bambou dont ils n’assimilent que 20 % de ce qu’ils mangent, ce qui les obligent à dormir très longtemps pour digérer. En captivité ils sont mieux nourris ce qui explique qu’ils y vivent en moyenne dix ans de plus, l’objectif étant de les renvoyer dans leur état naturel tout en les aidant à se procurer de la viande. En captivité, ils ont tendance à ne pas se reproduire mais les chercheurs ont eu l’idée de leur projeter des films avec des ébats mâles/femelles, ce qui leur a redonné l’idée de se reproduire.

          Il y a 2200 ans, le gouverneur de la ville de Chengdu a eu l’idée d’organiser avec l’aide d’un ingénieur un réseau de distribution et d’épuration d’eau à partir du fleuve en créant des ramifications multiples qui amènent l’eau à tous les quartiers de la ville jusqu’à aujourd’hui. Ce système nécessite simplement d’être nettoyé et rénové tous les dix ans ce qui s’est réalisé jusqu’à aujourd’hui. Quelques investissements supplémentaires seulement ont été faits dans les années 1950 et 1970. Le président Mao en personne était venu examiner cette réalisation extraordinaire et a donné quelques conseils pour son élargissement. C’est en fait un gigantesque parc le long du fleuve et de ses ramifications artificielles avec de très nombreux temples sur les collines ou dans le parc et des statues des ingénieurs qui ont travaillé à sa construction et à son développement. Encore aujourd’hui les Chinois viennent se faire photographier à côté de ces statues d’ingénieurs qui sont l’objet d’un véritable culte au point où la statue du premier ingénieur du lieux est systématiquement caressée par les visiteurs car cela est censé leur apporter la chance et le savoir. C’est presque un lieu de promenade et de pèlerinage scientifique, culturel, historique, patriotique.

          Chengdu est une ville au passé glorieux avec un très fort patriotisme provincial et local et le musée est le témoignage imposant et grandiose de cette longue histoire et de la fierté de ses habitants depuis la plus haute Antiquité jusqu’à nos jours. Beaucoup d’articles exposés de grande beauté et de grande habileté qui témoignent de la grandeur de la civilisation chinoise et de la puissance en son sein de la province du Sichuan à la très forte personnalité. Ce qu’on avait d’ailleurs pu voir lors d’un repas « princier » d’où nous pouvions voir la scène où l’on voyait des spectacles de l’opéra Sichuanais qui est assez différent de la tradition de l’opéra de Pékin.

          Du musée j’ai remarqué au loin la statue du président Mao et j’ai demandé à la guide si nous avions le temps d’aller la voir, ce qui a été possible. La statue de Mao se trouve devant le Musée de la science et de la technologie du Sichuan ce qui explique pourquoi sous la statue il y a une citation du président Xi Jinping sur l’importance de la science et de la technologie. Nous avons pris des photos sous la statue du président Mao et à cette occasion j’ai dit aux cadres du Parti qui m’accompagnait la seule phrase en chinois que je connais « vive le président Mao ! » ce qui a provoqué leur étonnement, les ont amenés à discuter avec moi sur ce que je connaissais de la révolution chinoise et de la pensée Mao Zedong, et le cadre de la province délégué aux relations internationales a manifesté son admiration pour ma connaissance du président Mao si bien que le lendemain au pied de l’avion me ramenant en Europe, en me disant au revoir il a levé son poing et m’a dit « vive le président Mao ! ». J’ai en effet remarqué que les Chinois éprouvaient toujours beaucoup d’admiration, voire de tendresse, pour Mao Zedong et son héritage, sa capacité à avoir restauré l’État chinois. Mais ce phénomène semble surtout observable chez ceux qui sont particulièrement attachés à l’égalité sociale et on peut sentir que le clivage droite/gauche existe bien en Chine, même si aujourd’hui il se manifeste en douceur et par la façon dont les cadres mettent l’accent sur certaines périodes de l’histoire du communisme ou sur certains anciens dirigeants communistes. La question des classes sociales en Chine existe donc comme partout ailleurs dans le monde mais elle est visiblement traitée autrement dans le régime chinois que dans les pays capitalistes ou dans les autres pays socialistes, du passé ou actuels. Tout cela dans le cadre d’une société gigantesque et diversifiée, aux fortes traditions collectivistes et étatiques mais confrontée aujourd’hui au défi de la culture capitaliste mondialisée apportant individualisme et esprit de compétition tendant à concurrencer l’émulation socialiste des démocraties populaires d’après 1945.

Bruno Drewski.

Source : mail de l’auteur.