« Le comité qui inflige des amendes aux patrons algériens gelé » titre TSA, après un entretien avec le patron du Conseil du renouveau économique algérien (CREA) à la sortie d’une rencontre ayant regroupé une délégation de son organisation avec le président Abdelmadjid Tebboune.

De quoi s’agit-il ? « L’existence de ce comité a été révélé publiquement jeudi 7 septembre par la présidente de la Confédération des entreprises algériennes Saida Neghza » note TSA même si la presse en avait fait état bien avant (note personnelle).

TSA poursuit « Dans cette lettre adressée au président Abdelmadjid Tebboune, la présidente de la CGEA a fait état de plaintes de la part d’hommes d’affaires sur des amendes qui leur ont été infligées par ce comité ministériel ».

Ainsi le prix des hydrocarbures venant à peine d’augmenter que les entrepreneurs, fidéles à leurs traditions, revendiquent l’essentiel du surplus pétrolier au lieu que ce dernier soit consacré au développement économique et social du pays. Doit-on comprendre que le patronat algérien n’a pas changé et surtout qu’il est désormais plus puissant qu’au temps de Ali Haddad ?

Il y a lieu d’abord de noter que dans son « compte Rendu » adressé à la présidence de la république, la patronne de la CGEA ne contestait nullement le bien fondé de ces amendes mais revendiquait, au vu de l’importance de leurs montants et l’impossibilité des patrons de s’en acquitter, que les amendes exigées soient « reconverties en obligation de lancement de projets d’investissements productifs dans leurs (ceux des patrons) domaines d’activités respectifs ». Autrement dit elle revendique ni plus ni moins que l’effacement de ces amendes au mépris du principe constitutionnel d’égalité devant la loi.

Tout le monde sait que l’une des caractéristiques fondamentales du patronat algérien est qu’il ne réinvestit pas ses profits qui vont enrichir les patrimoines personnels des patrons et ceux de leurs familles qui préfèrent les investir à l’étranger. Et c’est sur ce point que réside la deuxième revendication de la patronne de la CGEA puisque dans sa lettre au président, citée ci dessus, elle n’hésite pas à affirmer « Nous devons prendre en compte les particularités du pays, y compris le problème de la non-convertibilité du dinar et le problème du square. Tout homme d’affaires qui a fait des profits aspire à posséder des biens en Algérie et à l’étranger, comme c’est le cas pour tous les hommes d’affaires du monde entier, mais la loi algérienne ne permet pas ceci. Alors, comment traiter rationnellement cette question. Est-ce en mettant en faillite les opérateurs concernés, en vendant ou en fermant leurs usines et en mettant des milliers de travailleurs au chômage? » (On ne peut comprendre cela que comme une demande de légalisation de l’évasion financiére).

ET à la patronne de la CGEA de de continuer « J’ai adressé à votre haute autorité un recueil comportant des propositions pour répondre à la problématique des opérateurs qui ont investi à l’étranger ou qui ont des biens à l’étranger, qui ont exprimé leur volonté de régulariser leur situation, selon des mesures raisonnables bénéfiques pour toutes les parties ». Autrement dit elle propose l’amnistie financière au lieu et place du rapatriement de l’argent objet d’évasion.

Il faut noter, ici, qu’avant ces nouvelles amendes exigées par le comité ministériel qui vient d’être gelé, le patronat en Algérie, malgré les nombreux cadeaux fiscaux et parafiscaux, ne respectait pas, dans sa majorité, la législation fiscale. Il n’y a qu’à lire le dernier rapport (2021) de la cour des comptes sur la loi portant réglement budgétaire de l’exercice 2019, pour découvrir que le montant des impôts constatés, facturés et non recouvrés, s’élèvent à 5 000 milliards de DA, soit l’équivalent de 50 milliards de Dollars, auxquels il faut ajouter 8 000 milliards de DA d’amendes non payées. A ces impôts non recouvrés s’ajoutent « les dépenses fiscales » c’est à dire les «avantages fiscaux accordés par l’État » qui s’élévent en 2019 à 693 milliards de DA. Et encore cela ne représente qu’une partie du manque à gagner pour l’État puisque la Cour des Comptes dans son rapport sus cité affirme, je cite, « En termes d’exhaustivité, l’administration fiscale ne détient pas une situation précise de l’ensemble des dépenses fiscales accordées en matière d’encouragements fiscaux. Elle se contente de recenser ces exonérations sans déterminer les dépenses fiscales associées aux régimes dérogatoires et ce, en raison des retards qu’elle accuse dans la mise en oeuvre d’un système d’information complet et intégré comportant les différents avantages octroyés » fin de citation.

La patronne de la CGEA conclut sa lette , ci dessus citée, par « Je tiens à souligner que le secteur privé est le plus grand employeur de main-d’oeuvre du pays, et c’est la base de tout développement économique… » Rien de plus faux comme je vais le démontrer.

1. Dans leur quasi totalité les entrepreneurs, en Algérie, ne respectent pas la législation sociale. Moins de 5% d’entre eux reconnaissent le droit syndical qu’ils limitent à sa plus simple expression alors que le droit à la participation (Délégation du personnel et comité de participation) n’est quasiment pas reconnu sans parler du détournement de l’argent des œuvres sociales due aux travailleurs.

2. Le nombre de travailleurs salariés du secteur privé déclarés à la CNAS (2019) s’élève à 1 Million 870 000. Cela représente à peine 33 % du total des salariés tous secteurs confondus (public et privé) déclarés à la CNAS, contre 3 millions 765 000 pour le secteur public (soit 67 % du total des travailleurs salariés déclarés par la fonction publique et le secteur économique public). On est très loin du secteur privé employant 60 % des salariés.

3. A cela s’ajoutent les bas salaires appliqués dans le secteur privé et aussi les sous déclarations des salaires. Ainsi selon les budgets des caisses de sécurité sociales de 2019 le montant des cotisations de sécurité sociale versés par les entreprises privées au titre des 1.8 Million de salariés déclarés se sont élevées à 244 milliards de DA contre 809 milliards de DA versés par le secteur public au titre de ses 3,764 millions salariés déclarés.

Ainsi le secteur privé déclare 1,87 million représentant 33 % des travailleurs déclarés à la sécurité sociale au titre desquels il ne verse que 23 % des cotisations sociales totales collectées par la CNAS contre 77 % des recettes de cotisation versées par le secteur public au titre de 67 % des salariés déclarés. Autrement dit, le secteur public déclare à la sécurité sociale deux fois plus de travailleurs et verse trois fois plus de cotisations sociales que ce secteur privé.

4. Dans sa lettre précitée la patronne de la CGEA affirme « La même inquiétude est observée chez les opérateurs du secteur de l’industrie pharmaceutique, eux qui se sont mobilisés durant la période du COVID 19 et qui se retrouvent à présent, en proie à la bureaucratie et aux différentes inspections, à la limite du harcèlement ». la vérité est que durant la pandémie on n’a vu que les travailleurs et le personnel du corps médical du public, des hôpitaux surtout, qui se sont mobilisés au prix de leur santé et parfois de leur vie au moment ou les prix des consultations, des actes d’exploration et d’analyse et des vaccins dans le privé étaient inabordables pour le commun des algériens.

En conclusion si je suis pour le droit syndical , y compris pour les patrons; si je suis pour la transparence et le droit pour tous de défense et de recours en matiére de politique fiscale et pour la transparence dans l’octroi des licences d’importation, je suis aussi et surtout pour l’égalité des citoyens devant l’impôt, pour le droit syndical aussi bien dans le secteur public que privé, pour le respect par tous de la législation du travail et de leurs obligations en matière de sécurité sociale.

Le surplus financier du pays, généré par l’augmentation des prix du pétrole doit servir , en priorité la relance et le développement économique et social du pays et non une catégorie de privilégiés. L’Etat doit tirer les leçons, toutes les leçons de 20 ans de prédation sous le règne de Bouteflika.

Alger le 17 septembre 2023

Nouredine Bouderba

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